JD : Votre livre qui sort de l’ordinaire par rapport aux autres ouvrages sur le divorce, vous permet d’en finir avec les idées reçues, pouvez-vous nous en dire plus ?
AD : Les idées reçues, c’est-à-dire les idées fausses qui sont véhiculées sur le divorce, empêchent souvent les gens de prendre une décision, parce qu’ils sont terrorisés par l’image négative qu’ils se font de cette procédure, du moins par ses conséquences. En vingt-huit ans d’exercice, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui venaient me voir avec des a priori terribles sur les conséquences de certaines situations les concernant, notamment, la résidence de leurs enfants, le montant de la pension alimentaire à payer ou leur domiciliation future. Aussi, j’ai voulu aborder ces fausses idées circulant sur le divorce, afin d’y mettre un terme une fois pour toute.
JD : Parler de « divorce réussi », semble un peu utopique… sachant que ce type de séparation est souvent très douloureuse. Quelle est la marche à suivre, selon vous, afin de « réussir » son divorce ? Est-ce que cela peut passer, par exemple, par la médiation familiale ?
AD : Cela ne passe pas forcément par la médiation familiale, mais cela peut passer par la médiation familiale. Je crois que vous avez un début de réponse dans votre question, puisque vous parlez du divorce en disant que c’est « très douloureux ». Comment dépasser cette douleur ? Comment se reconstruire après un divorce, quand on a autant souffert ? C’est justement, là, que la médiation familiale peut intervenir, et voilà pourquoi j’en parle, dans la mesure, où il faut un lieu d’expression, afin de pouvoir déposer et exprimer cette douleur ; les tribunaux n’étant pas prévus à cet effet. Dans le cadre de la procédure stricto sensus judiciaire, il n’y a aucun lieu où déposer, se confier, pouvoir être compris, entendu ou rencontrer de l’empathie. Donc, on est dans une procédure, pendant laquelle les magistrats ne sont pas là pour vous entendre, mais uniquement pour juger. Ainsi, la médiation familiale reste à mon sens un des moyens de réussir son divorce et de pouvoir faire le deuil de l’échec conjugal. A un moment ou un autre, il faut pouvoir avancer. Après la rupture du lien conjugal, il faut pouvoir passer au lien parental dans l’intérêt des enfants. Plus vite, on peut exprimer cette douleur, plus vite, on fait le point ou le tour des problèmes, aux fins de pouvoir reconstruire autre chose, permettre aux enfants de mieux supporter la séparation, puisqu’ils ont deux parents qui peuvent se reparler. La situation en général est bloquée au départ, et souvent, celui (ou celle) qui est quitté(e) se trouve dans une très grande souffrance par rapport à celui (ou celle) qui a quitté.
JD : Vous distinguez le divorce « côté femmes » du divorce « côté hommes », pourquoi ?
AD : Il faut bien que l’on soit clair à ce sujet. Je parle que des personnes que j’ai reçues pendant près de trois décennies dans mon cabinet. Aussi, il ne faut pas que tous les hommes se sentent visés et que toutes les femmes se sentent concernées. Les premières critiques de mon ouvrage ont laissé croire, à tort, que je faisais des reproches qu’à l’encontre des hommes et que je favorisais, ainsi, les femmes. Ce n’est pas du tout le cas ! J’ai simplement constaté que, parmi les personnes qui sont venues se confier à moi pendant ces vingt-huit années d'activité, les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes réactions dans le cadre d’une procédure, parce que psychologiquement, ils ne sont pas construits de la même façon. Une femme exprime, généralement, plus facilement ce qu’elle ressent, un homme moins. Je crois qu’on est vraiment dans deux psychismes dissemblables. J’ai effectivement voulu traiter cette différence, parce que l’un des buts de mon ouvrage est que chacun puisse s’y retrouver. C’est-à-dire, qu’on puisse se dire : « je ne suis pas seul(e) à subir cela, d’autres l’ont déjà vécu… » J’ai essayé de « coller » à la réalité psychologique et vécue des personnes, distinguant et sous-distinguant, même, les divorces subis par les hommes et demandés par les hommes, les divorces subis par les femmes et demandés par les femmes. Force est de constater que l’impact psychologique n’est pas le même, selon que l’on demande ou selon que l’on subit le divorce. Cette différence se renforce, si elle touche un homme ou une femme.
JD : Le divorce est-il plus souvent demandé par les femmes ou par les hommes ?
AD : En France, le divorce est plus souvent demandé par les femmes. Mais, à l’heure actuelle, suite aux crises économique et immobilière, aux difficultés pécuniaires des couples qui en découlent, je trouve qu’on est en train de s’orienter vers un renversement de cette tendance. On constate, même, une augmentation des demandes de divorces chez les hommes dans la mesure où financièrement, ils peuvent plus facilement envisager de résider séparément. Mais, plus globalement, on se rend compte que les gens ont de moins en moins les moyens de se séparer.
JD : Peut-on de ce fait considérer que les gens se sécurisent au travers du mariage…
AD : Les gens ne se sécurisent pas au travers du mariage. Ils ont plutôt de réelles difficultés matérielles pour organiser une vie séparée (domiciles distincts, paiement de deux loyers, parfois la maison en vente ne se vend pas, etc.). Donc, on est dans une obligation de cohabitation. Je dois dire que c’est nouveau et que cela fait suite à la crise. Je crois que les gens sont, de plus en plus, dans une nécessaire cohabitation, pour laquelle, il va falloir redéfinir de nouvelles modalités de fonctionnement. Dans ce cas précis, hors procédure, je pense que la médiation familiale peut avoir encore tout son sens ; en médiation conventionnelle, bien sûr, pour aider les personnes à cohabiter en bonne intelligence !
JD : Vu le nombre de dossiers de divorces que traitent, par jour, les juges en France, bien souvent la souffrance individuelle n’est pas prise en compte, notamment, celle des parents, mais surtout celle des enfants. Pensez-vous qu’il devienne urgent que l’Ecole de la Magistrature enseigne des cours de psychologie, afin de remédier à cette grave carence ?
AD : Effectivement, à l’heure actuelle, les enfants restent les grandes victimes des divorces rapides. Il est vrai que, dès l’Ecole de la Magistrature, il faudrait enseigner la médiation familiale et la psychologie ; c’est-à-dire, comment un juge peut aborder un dossier de divorce. Actuellement, le Code Civil - je l’explique dans mon livre - demande aux juges de tenter une conciliation entre les parents, autour de leurs enfants, et de prendre les mesures nécessaires dans le cadre d’un divorce. Or, si la Loi prévoit que les juges doivent tenter de faire parvenir les parents à un accord en ce qui concerne leurs enfants, elle ne leurs donne pas les outils pour aborder les problèmes humains. Juridiquement, c’est facile de décider que les enfants résideront chez l’un des parents, et que l’autre aura des droits de visite et d’hébergement ; mais, il est plus difficile d’amener les parents à réfléchir, eux-mêmes, sur une solution consensuelle et commune dans l’intérêt des enfants. Pourtant, c’est un des rôles que la Loi donne aux juges, dans le cadre d’un divorce, un rôle qui me paraît, à l’heure actuelle, très délicat à appliquer, compte tenu de l’actuelle formation des magistrats. Il faut savoir qu’un magistrat du divorce, en droit de la famille, un juge aux affaires familiales (JAF), ne reçoit pas initialement de formation spécifique. Tous les juges sont dans un tronc commun. Un juge, lorsqu’il est nommé, peut très bien être juge aux affaires familiales, juge d’instance, juge d’instruction, juge de la chambre commerciale, etc. Donc, je dirais que les magistrats sont polyvalents, mais non formés pour certaines spécificités humaines.
JD : Est-ce que cela vaudrait le coup de proposer des spécialisations pour les JAF ?
AD : Il serait grand temps de mettre en place des spécialisations, en tous cas des formations spécifiques. Il n’y a d’ailleurs pas que pour les JAF que cela devrait être prévu, mais aussi, pour les juges d’instruction. On a bien vu ce que cela donnait, il y a très peu de temps, avec l’affaire du juge Burgaud. En fait, les juges sont souvent inexpérimentés, lorsqu’ils prennent leur fonction… On a, par exemple, au tribunal de Metz, plusieurs juges aux affaires familiales qui ne sont pas mariés et qui n’ont pas d’enfants. On ne peut donc pas dire qu’ils ont une expérience de la vie, puisqu’ils ne savent rien de la vie de parents, de la vie de couple, d’un mariage qui dure, de la retraite, de ce que sont les préoccupations de l’impact de la maladie ou d’un handicap sur une séparation… Je crois qu’ils sont en rien préparés à ce qui les attend. Ils arrivent sur le terrain sans spécificité et tant que leur propre vie ne les a pas amener à découvrir la vraie vie, et bien ils sont totalement démunis. Donc, je serais très favorable à la mise en place de modules de formation très spécifiques.
JD : Je vous remercie Agnès Dalbin d’avoir répondu à mes questions.
© Jean Dorval, le 30 mai 2009, pour LTC.
PS : A lire le très bel article rédigé à ce sujet par notre consœur Marie-Hélène Fanton d’Andon sur le site La Plume Culturelle
AD : Les idées reçues, c’est-à-dire les idées fausses qui sont véhiculées sur le divorce, empêchent souvent les gens de prendre une décision, parce qu’ils sont terrorisés par l’image négative qu’ils se font de cette procédure, du moins par ses conséquences. En vingt-huit ans d’exercice, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui venaient me voir avec des a priori terribles sur les conséquences de certaines situations les concernant, notamment, la résidence de leurs enfants, le montant de la pension alimentaire à payer ou leur domiciliation future. Aussi, j’ai voulu aborder ces fausses idées circulant sur le divorce, afin d’y mettre un terme une fois pour toute.
JD : Parler de « divorce réussi », semble un peu utopique… sachant que ce type de séparation est souvent très douloureuse. Quelle est la marche à suivre, selon vous, afin de « réussir » son divorce ? Est-ce que cela peut passer, par exemple, par la médiation familiale ?
AD : Cela ne passe pas forcément par la médiation familiale, mais cela peut passer par la médiation familiale. Je crois que vous avez un début de réponse dans votre question, puisque vous parlez du divorce en disant que c’est « très douloureux ». Comment dépasser cette douleur ? Comment se reconstruire après un divorce, quand on a autant souffert ? C’est justement, là, que la médiation familiale peut intervenir, et voilà pourquoi j’en parle, dans la mesure, où il faut un lieu d’expression, afin de pouvoir déposer et exprimer cette douleur ; les tribunaux n’étant pas prévus à cet effet. Dans le cadre de la procédure stricto sensus judiciaire, il n’y a aucun lieu où déposer, se confier, pouvoir être compris, entendu ou rencontrer de l’empathie. Donc, on est dans une procédure, pendant laquelle les magistrats ne sont pas là pour vous entendre, mais uniquement pour juger. Ainsi, la médiation familiale reste à mon sens un des moyens de réussir son divorce et de pouvoir faire le deuil de l’échec conjugal. A un moment ou un autre, il faut pouvoir avancer. Après la rupture du lien conjugal, il faut pouvoir passer au lien parental dans l’intérêt des enfants. Plus vite, on peut exprimer cette douleur, plus vite, on fait le point ou le tour des problèmes, aux fins de pouvoir reconstruire autre chose, permettre aux enfants de mieux supporter la séparation, puisqu’ils ont deux parents qui peuvent se reparler. La situation en général est bloquée au départ, et souvent, celui (ou celle) qui est quitté(e) se trouve dans une très grande souffrance par rapport à celui (ou celle) qui a quitté.
JD : Vous distinguez le divorce « côté femmes » du divorce « côté hommes », pourquoi ?
AD : Il faut bien que l’on soit clair à ce sujet. Je parle que des personnes que j’ai reçues pendant près de trois décennies dans mon cabinet. Aussi, il ne faut pas que tous les hommes se sentent visés et que toutes les femmes se sentent concernées. Les premières critiques de mon ouvrage ont laissé croire, à tort, que je faisais des reproches qu’à l’encontre des hommes et que je favorisais, ainsi, les femmes. Ce n’est pas du tout le cas ! J’ai simplement constaté que, parmi les personnes qui sont venues se confier à moi pendant ces vingt-huit années d'activité, les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes réactions dans le cadre d’une procédure, parce que psychologiquement, ils ne sont pas construits de la même façon. Une femme exprime, généralement, plus facilement ce qu’elle ressent, un homme moins. Je crois qu’on est vraiment dans deux psychismes dissemblables. J’ai effectivement voulu traiter cette différence, parce que l’un des buts de mon ouvrage est que chacun puisse s’y retrouver. C’est-à-dire, qu’on puisse se dire : « je ne suis pas seul(e) à subir cela, d’autres l’ont déjà vécu… » J’ai essayé de « coller » à la réalité psychologique et vécue des personnes, distinguant et sous-distinguant, même, les divorces subis par les hommes et demandés par les hommes, les divorces subis par les femmes et demandés par les femmes. Force est de constater que l’impact psychologique n’est pas le même, selon que l’on demande ou selon que l’on subit le divorce. Cette différence se renforce, si elle touche un homme ou une femme.
JD : Le divorce est-il plus souvent demandé par les femmes ou par les hommes ?
AD : En France, le divorce est plus souvent demandé par les femmes. Mais, à l’heure actuelle, suite aux crises économique et immobilière, aux difficultés pécuniaires des couples qui en découlent, je trouve qu’on est en train de s’orienter vers un renversement de cette tendance. On constate, même, une augmentation des demandes de divorces chez les hommes dans la mesure où financièrement, ils peuvent plus facilement envisager de résider séparément. Mais, plus globalement, on se rend compte que les gens ont de moins en moins les moyens de se séparer.
JD : Peut-on de ce fait considérer que les gens se sécurisent au travers du mariage…
AD : Les gens ne se sécurisent pas au travers du mariage. Ils ont plutôt de réelles difficultés matérielles pour organiser une vie séparée (domiciles distincts, paiement de deux loyers, parfois la maison en vente ne se vend pas, etc.). Donc, on est dans une obligation de cohabitation. Je dois dire que c’est nouveau et que cela fait suite à la crise. Je crois que les gens sont, de plus en plus, dans une nécessaire cohabitation, pour laquelle, il va falloir redéfinir de nouvelles modalités de fonctionnement. Dans ce cas précis, hors procédure, je pense que la médiation familiale peut avoir encore tout son sens ; en médiation conventionnelle, bien sûr, pour aider les personnes à cohabiter en bonne intelligence !
JD : Vu le nombre de dossiers de divorces que traitent, par jour, les juges en France, bien souvent la souffrance individuelle n’est pas prise en compte, notamment, celle des parents, mais surtout celle des enfants. Pensez-vous qu’il devienne urgent que l’Ecole de la Magistrature enseigne des cours de psychologie, afin de remédier à cette grave carence ?
AD : Effectivement, à l’heure actuelle, les enfants restent les grandes victimes des divorces rapides. Il est vrai que, dès l’Ecole de la Magistrature, il faudrait enseigner la médiation familiale et la psychologie ; c’est-à-dire, comment un juge peut aborder un dossier de divorce. Actuellement, le Code Civil - je l’explique dans mon livre - demande aux juges de tenter une conciliation entre les parents, autour de leurs enfants, et de prendre les mesures nécessaires dans le cadre d’un divorce. Or, si la Loi prévoit que les juges doivent tenter de faire parvenir les parents à un accord en ce qui concerne leurs enfants, elle ne leurs donne pas les outils pour aborder les problèmes humains. Juridiquement, c’est facile de décider que les enfants résideront chez l’un des parents, et que l’autre aura des droits de visite et d’hébergement ; mais, il est plus difficile d’amener les parents à réfléchir, eux-mêmes, sur une solution consensuelle et commune dans l’intérêt des enfants. Pourtant, c’est un des rôles que la Loi donne aux juges, dans le cadre d’un divorce, un rôle qui me paraît, à l’heure actuelle, très délicat à appliquer, compte tenu de l’actuelle formation des magistrats. Il faut savoir qu’un magistrat du divorce, en droit de la famille, un juge aux affaires familiales (JAF), ne reçoit pas initialement de formation spécifique. Tous les juges sont dans un tronc commun. Un juge, lorsqu’il est nommé, peut très bien être juge aux affaires familiales, juge d’instance, juge d’instruction, juge de la chambre commerciale, etc. Donc, je dirais que les magistrats sont polyvalents, mais non formés pour certaines spécificités humaines.
JD : Est-ce que cela vaudrait le coup de proposer des spécialisations pour les JAF ?
AD : Il serait grand temps de mettre en place des spécialisations, en tous cas des formations spécifiques. Il n’y a d’ailleurs pas que pour les JAF que cela devrait être prévu, mais aussi, pour les juges d’instruction. On a bien vu ce que cela donnait, il y a très peu de temps, avec l’affaire du juge Burgaud. En fait, les juges sont souvent inexpérimentés, lorsqu’ils prennent leur fonction… On a, par exemple, au tribunal de Metz, plusieurs juges aux affaires familiales qui ne sont pas mariés et qui n’ont pas d’enfants. On ne peut donc pas dire qu’ils ont une expérience de la vie, puisqu’ils ne savent rien de la vie de parents, de la vie de couple, d’un mariage qui dure, de la retraite, de ce que sont les préoccupations de l’impact de la maladie ou d’un handicap sur une séparation… Je crois qu’ils sont en rien préparés à ce qui les attend. Ils arrivent sur le terrain sans spécificité et tant que leur propre vie ne les a pas amener à découvrir la vraie vie, et bien ils sont totalement démunis. Donc, je serais très favorable à la mise en place de modules de formation très spécifiques.
JD : Je vous remercie Agnès Dalbin d’avoir répondu à mes questions.
© Jean Dorval, le 30 mai 2009, pour LTC.
PS : A lire le très bel article rédigé à ce sujet par notre consœur Marie-Hélène Fanton d’Andon sur le site La Plume Culturelle